jeudi 7 juin 2012

Sale ambiance

Derrière la sale ambiance (j’y reviens dans un instant) dans laquelle se déroulent ces élections législatives, il y a quelques pièges pour le débat démocratique. Cet article a pour but d'aider qui veut à les éviter. J'espère qu'il n'est pas aussi nécessaire qu'il me paraît l'être.

D'abord, le calendrier (législatives un mois après les présidentielles) est pourri mais l’enjeu est trop important pour qu’on se laisse contaminer par la démobilisation institutionnalisée.

Pensez bien qu’on est parti pour cinq ans avec le prochain parlement et que c’est maintenant qu’on lui donne l’impulsion de départ !
Pensez-le même si c’est faux et qu’en fait, en cas de pépin, il une certaine probabilité d’avoir des élections anticipées !
Pensez-le même si ces élections ne sont qu’un moment de la vie démocratique et que le pouvoir se loge dans toutes les luttes et tous les débats même s’ils ne sont pas sanctionnés par un vote !

En effet, pourquoi compter sur un pépin et pourquoi attendre ? Pourquoi ne pas ajouter à notre force économique et à notre force idéologique (celles qui peuvent s’exprimer tout le temps, dans les luttes et les débats) la légitimité démocratique conférée par le vote ? En dépit de tous les défauts que comporte notre régime (liés à la fois aux inégalités, aux institutions, à la faiblesse du système médiatique etc.), obtenir plus ou moins de voix, plus ou moins de députés, ça change le poids de nos idées. Cette légitimité facilite la tâche de ceux et celles qui s’échinent à ce qu’elles soient entendues entre les élections. Et comme ça ne coûte pas bien cher, pourquoi s’en priver ? (Ceci dit, le mieux à faire est de voter tout en ne se contentant pas de voter)

J’en conviens, le vote n’a qu’une efficacité limitée. Notamment parce qu’il partage le pouvoir en plusieurs dizaines de millions de parts égales et que donc chacune d’entre elle est infinitésimale. Une partie de son inefficacité est donc plutôt un bien qu’un mal : c’est la contrepartie d’une certaine égalité.

Ayant ceci en tête, on peut s’interroger sur la façon de donner à son vote autant d’efficacité que possible. Et pour ces législatives comme pour les autres élections, cela passe par voter en fonction des programmes et uniquement en fonction des programmes. Ici comme ailleurs, faisons fi de la personnalité des candidats ou de considérations tactiques et votons pour nos idées !

Maintenant, quelques points spécifiques aux élections législatives.

D’abord, il faut savoir que le premier tour de l’élection législative détermine le financement qui sera accordé aux partis politiques. Tous les ans pendant les 5 ans qui suivent l’élection, l’état répartit une somme donnée entre tous les partis qui auront fait plus de 1% des voix dans au moins 50 circonscriptions proportionnellement au nombre total des voix obtenues. C’est un point mineur mais qui devrait renforcer l’importance de voter en fonction de ses idées : par un vote aux législatives, on renforce (en donnant des moyens financiers aux partis qui les soutiennent) le poids qu’auront, pendant la mandature, les idées pour lesquelles on a voté.

Et puis, venons en à l’ambiance particulière dans laquelle se déroulent ces élections (la « sale ambiance » du début de l’article). Le calendrier, le traitement médiatique spécifique à la législative ou même le caractère des campagnes de certains candidats, tout cela donne une ambiance particulière aux élections législatives. Dans cette ambiance nouvelle et particulière apparaissent des pièges nouveaux et particuliers qui peuvent nous détourner du vote de conviction même lorsqu’on n’est pas tombé dans les pièges tendus à ce sujet lors de la présidentielle. Et comme j'aime pas trop ça, j'appelle ça une sale ambiance.

Localisme.
Il y a une certaine tendance à confondre les élections législatives avec les élections municipales. On peut bien sûr illustrer l’effet de mesures nationales sur le niveau local mais il ne faut pas faire de confusion sur les compétences des maires et des député-e-s. Cette confusion, à moins que ce ne soit un avatar de la personnalisation (que j’ai dénoncée ailleurs) entraîne aussi, souvent, les gens à faire le choix d’un-e candidat-e en fonction de ce qu’ils connaissent de son action locale. Or, un homme ou une femme, de droite, honnête et sympathique dont on apprécie l’action locale pourrait fort bien, si l’on est de gauche, voter des lois à l’assemblée avec lesquelles on serait en complet désaccord. En effet, au niveau local, l’action du politique est fortement contrainte par les compétences et les budgets relativement restreints. Ceci masque tout ce que pourrait avoir de néfaste l’idéologie qui sous tend l'action du politique, si elle s’exprimait au niveau national.

Fatalisme.
Le calendrier est à l’origine d’autres difficultés. Le fait qu’on ait vu les résultats de l’élection présidentielle peu avant la tenue des élections législatives donne l’impression que la partie est jouée. On pense qu’en faisant le compte des voix du premier tour de la présidentielle dans sa circonscription, on aura une bonne idée du premier tour de l’élection législative. De cette manière, on peut conclure, par exemple, que le Front de Gauche n’a aucune chance de faire élire le moindre député.
Primo, cela ne constitue pas une raison pour voter pour autre chose que pour ses idées : on a vu que même sans élus, renforcer le poids de nos idées par un vote leur donne une efficacité supplémentaire (notamment, en l’occurrence, par le biais du financement). Et si, par malheur, notre préféré n’a pas passé le 1er tour, on pourra toujours voter au deuxième tour pour le candidat qui reste.
Deuxio (si le primo ne vous convainc pas mais, en toute logique, il devrait), cette façon de faire les comptes n’est pas juste. On oublie, ce faisant, que la présidentielle a elle-même été parasitée par plein de considérations (vote utile, rejet de la personnalité de tel ou tel candidat) qui font que le vote ne représente que très imparfaitement les véritables idées des gens qui ont voté. Les gens peuvent donc voter pour des partis différents à la présidentielle et aux législatives. On oublie aussi que l’abstention croît entre la présidentielle et les législatives et que tous les électorats ne sont pas mobilisés de la même manière. Et la meilleure preuve en est que vous verrez qu’au final, le Front de Gauche aura des députés.

Légitimisme.
L’élection de Hollande entraîne aussi un certain légitimisme. On se dit : « il a été élu, il faut lui donner une majorité ». De plus, les débuts de l’action du gouvernement ont pu plaire à certains et on se dit alors : « c’est bien suffisant, on fera avec ».
A la première objection, on a déjà répondu : l’élection de Hollande s’est faite aussi très largement sur le rejet de Sarkozy et la peur d’un remake de 2002. La légitimité de son programme est donc douteuse. Et puis si il y a vraiment une adhésion à son programme, il n’y aura pas besoin de notre voix pour qu’elle s’exprime (si notre voix n’exprime pas une telle adhésion). Pour la deuxième question, il est sûr qu’une majorité de droite ne ferait pas les mêmes choses que ce qu’a commencé à faire le pouvoir socialiste et vert. Mais quid de député-e-s du Front de Gauche ? Ce ne sont certainement pas les député-e-s du Front de Gauche qui s’opposeront à un coup de pouce au SMIC (aussi minime soit-il) ou à plus de retenue dans la pratique du pouvoir. On ne gênera Hollande que si, par malheur, celui-ci s’engage sur la voie de l’austérité, tel qu’il le préconise dans son programme (baisse des dépenses publiques, suppression de postes on ne sais où pour en créer dans l’éducation nationale etc.) Avec des députés du Front de Gauche, on n’empêchera pas les socialistes et les verts d’être de gauche, au contraire, ils y seront aidés. Et là, la question qui se pose à nouveau, c’est celle du programme.

Interlude sur le programme du Front de Gauche.
Le programme du Front de Gauche veut changer le système économique et politique de façon à éviter que ne se reproduisent des crises et de façon à éviter la catastrophe écologique. Comme beaucoup d'autres, me direz vous. Ce qui compte, c'est donc la méthode que le Front de Gauche propose. La voici, atrocement résumée :
- La crise ne se résout pas par l'austérité, l'histoire et l'actualité le montrent. Le problème ne vient pas de dépenses excessives mais de l'accumulation d'une trop grosse part de la richesse dans un trop petit nombre de mains. La relance de l'activité se fait en partageant les richesses (en rognant sur les revenus du capital, les gros salaires, les gros patrimoines) et en proposant un projet qui mérite un grand plan d'investissement sans détruire les possiblités de vie humaine sur terre : la planification écologique.
- Facile à dire, difficile à faire. Pour faire, il faut s'appuyer sur une force, sur un pouvoir. Face au capital, le premier choix que je vois, c'est le peuple, d'où la campagne d'éducation populaire du Front de Gauche, d'où le projet d'une 6e république, d'où les réformes proposées pour donner un véritable pouvoir aux salariés dans l'entreprise et en retirer aux actionnaires, d'où l'exigence d'une refonte des institutions européennes.

Une discussion de l'aspect réaliste ou non du programme du Front de Gauche se trouve ici.

Illusionisme.
Il faut aussi rester sur ses gardes, en tant qu’électeurs de gauche, vis-à-vis de la sensation que le gouvernement PS-vert actuel fait un sans faute et saura nous mener vers des lendemains qui chantent aussi bien que le ferait le Front de Gauche. D’abord, il est bien évident qu’en attendant l’élection de la nouvelle assemblée, le gouvernement concentre les annonces et les décrets qui caressent l’électorat dans le sens du poil et que les mesures moins consensuelles sont gardées pour la suite. Pourtant, les observateurs attentifs auront déjà pu remarquer quelques très mauvais signaux dans les déclarations de deux poids lourds du gouvernement : Fabius, ministre des affaires étrangères et Moscovici, ministre des finances. Tous deux ont fait des déclarations visant à faire pression sur les grecs pour qu’ils élisent un gouvernement pro austérité. De plus, cela est agrémenté de menaces vides de fondement juridique lorsqu’ils disent que le non respect de l’austérité par les grecs les conduira en dehors de l’euro (en droit, on n’a aucun moyen d’expulser de la zone euro un pays qui ne le veut pas). Méthode et objectif, tout est détestable dans ces agissements. C’est un signe clair primo, de leur dédain de la souveraineté populaire, deuxio de leur soumission au libéralisme.
En effet, il faut bien voir ce que sont ces « engagements » (pris par un gouvernement qui avait été élu sur un tout autre programme ou mieux encore qui n’a pas été élu mais bricolé à partir de l’assemblée élue en cours de mandat) que les grecs devraient respecter selon Fabius et Moscovici. Ils ne consistent pas à demander aux armateurs, à l’église orthodoxe ou aux professions libérales grecques de payer leurs impôts. Ce sont avant tout des mesures de casse des acquis sociaux, de privatisation, de précarisation de l’emploi et de baisse des salaires (voir cette vidéo à 52:15).
Sans s’appuyer sur des gouvernements alliés en Europe, le gouvernement français ne pourra pas faire plier l’Allemagne sur la question de l'austérité. S'il fait tout pour éviter qu'un gouvernement anti-austérité n'arrive au pouvoir en Grède, c’est donc qu’il ne voit pas d’autres choses à faire que de poursuivre les politiques d’austérité en Europe.

Le Front de Gauche, lui, en voit. Cela fait une bonne raison bien concrète, qui ne reste pas au niveau du procès d’intention pour voter pour le Front de Gauche.

(NB : comme EELV a abandonné son programme pour des sièges de députés et une participation gouvernementale, il ne reste pas grand-chose d’autre à voter que Front de Gauche pour s’opposer à l’austérité. En admettant que EELV ait jamais prévu de s’y opposer.)

PS : Autres raisons d'être insatisfait de la politique du gouvernement PS-verts : la déclaration G8 trop libre-échangiste et la soumission à l'OTAN (notamment via le bouclier antimissile).






samedi 2 juin 2012

Argumentaire : comment on paye ?

Critique du chiffrage.
Le chiffrage des programmes, tel qu’il est pratiqué est une activité contestée par des économistes tout ce qu’il y a de plus sérieux. En effet, avec le chiffrage, tel qu’il est pratiqué, on cherche «combien ça coûte ?» mais on ne tient jamais compte du fait que certaines dépenses peuvent parfois rapporter plus qu’elles ont coûté. Une vision étriquée du chiffrage a tendance à mettre dans la tête des gens que les programmes les moins chers sont les meilleurs. La question qu’il faut se poser n’est pas «combien ça coûte ?» mais «ce programme est-il à la hauteur des enjeux ?» Cette critique du chiffrage s'applique bien évidemment au chiffrage classique donné dans la suite de l'argumentaire. Seulement, parfois l'on rencontre des gens qui ne voudront pas entendre la critique et réclameront le chiffrage.

Pourquoi on a un programme cher.
Le Front de Gauche a un programme conquérant qui vise à sortir de la crise non pas tant bien que mal et avec quelques bosses mais par le haut, en mettant en place un nouveau fonctionnement de la société qui assure au grand nombre une vie meilleure que ce qu’elle était dans l’avant-crise. On veut des vraies réformes et les vraies réformes, ça coûte de l’argent.

Ce qui coûte et ce qui rapporte.

Réalisme du Front de Gauche.
Le Front de Gauche a le seul programme réaliste parmi ceux présentés à la présidentielle, malgré son coût. En effet, tout programme qui ne libère pas les finances publiques de la tutelle des marchés ne permettra pas d’éviter l’austérité qu’ils réclament et qui ne fera qu’agraver la dette du pays. Tout programme qui ne permet pas un accroissement sensible de la part des salaires dans la richesse produite condamne l’économie à rester dans l’instabilité mortifère dans laquelle un capital hypertrophié la met. La recherche d’une soit disant modération affichée par la plupart des partis pour complaire à l’idéologie dominante défendue par les médias dominants est en fait tout le contraire d’une modération, tout le contraire d’un réalisme.

Appendices.

Coût du SMIC à 1700 euros.
Le SMIC à 1700 euros rapporte de l’argent. C’est le capital qui met la main à la poche et le SMIC accru augmente les rentrées fiscales pour l’état et les cotisations pour la sécu.

Reprendre au capital pour donner aux salaires, concrètement.
Par le travail, une société produit des richesses. Cette richesse va en partie rémunérer les travailleurs et en partie rémunérer les créanciers ou les actionnaires c’est-à-dire, le capital. On veut faire en sorte que la part qui va au capital diminue et celle qui va aux salaires augmente.
Reprendre 10% du PIB au capital pour le rendre aux salaires, ça se fait :
- en augmentant les salaires,
- en diminuant la précarité (la précarité permet aux patrons d’exiger plus de travail pour le même salaire car elle maintient les salariés sous la menace de retomber dans la galère),
- en diminuant le temps de travail (à salaire constant et sans accroitre la productivité horaire par de l’annualisation ou de la flexibilité),
- en taxant le capital.

NB : Il faut aussi qu’il n’y ait pas trop d’écart entre les salaires. Sinon, les riches ont trop d’argent et spéculent avec et les pauvres n’en ont pas assez et s’endettent : ces deux processus augmentent les revenus du capital.